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Connaîtrons-nous une récession en 2023?

janvier 2023

Demandez à Forstrong : Connaîtrons-nous une récession en 2023?

Points clés à retenir:

  • Selon le macrocontexte d’aujourd’hui, l’économie connaîtra un « atterrissage » doux ou brutal. Mais les deux scénarios supposent que l’inflation reviendra de manière sereine à 2 %. Mission accomplie. La situation risque plutôt d’être plus désordonnée.

  • Entretemps, les marchés restent beaucoup trop à la baisse concernant la croissance mondiale. Plusieurs dynamiques pourraient prendre un virage positif dans les prochains mois.

  • Plutôt que de tenter de cibler le moment exact d’une récession quelconque, une meilleure stratégie pour les investisseurs consistera à commencer à aligner les portefeuilles sur les nouveaux macroprincipes.

Chers lecteurs, nous vous souhaitons de nouveau la bienvenue aux pages de Ask Forstrong. L’année dernière n’a-t-elle pas été des plus divertissantes pour les marchés financiers? Lorsque vos petits-enfants vous demanderont de leur raconter encore et encore l’année 2022, vous les régalerez par des histoires allant des chocs inflationnistes à l’acquisition de Twitter par Elon Musk au prix de 44 milliards de dollars en passant par l’écroulement des cryptomonnaies, ces spéculations numériques peu réglementées qui ont été emportées dans un torrent de regrets, de récriminations et d’accusations de fraude.

En temps normal, il vous faudrait une imagination fonctionnant à l’excès de caféine pour créer de telles histoires. Mais nous ne vivons pas dans des temps normaux. Les « nouvelles réalités », comme nous les appelons ici, continuent de surgir régulièrement.

Pourtant, dans une année remplie d’événements spectaculaires, le plus grand événement pour les investisseurs a été de loin le bellicisme soudain et soutenu des banques centrales du monde entier. Alors que l’inflation se situait bien au-delà des cibles de 2 %, les décideurs politiques ont passé l’année à augmenter sans cesse les taux d’intérêt. Mais qu’est-ce qui brillait par son absence? Le mécanisme de renflouement du marché préféré de tous, le soi-disant « Fed Put », dans lequel les liquidités parrainées par la banque centrale viennent à la rescousse pour stopper tout déclin du marché. Pas cette fois. À la place, les banques centrales ont fait figure de rabat-joie pour les actifs à risque. Le marché obligataire américain a été particulièrement touché, enregistrant sa pire année (se basant sur des données remontant à 1976).

La plupart des investisseurs, conditionnés par des décennies de robustesse chronique, se sont retrouvés du mauvais côté des opérations l’an dernier et se sont sentis trahis par les marchés obligataires qui étaient le soi-disant segment de stabilité dans les constructions de portefeuilles équilibrés. 

Nous sommes en terrain neuf. Cependant, la tyrannie monétaire de 2022 a débordé en 2023. Mais cela devrait-il nous surprendre? Après une bataille livrée sur plusieurs décennies contre la désinflation, en particulier dans les années 2010, les décideurs politiques font désormais face à un régime différent. L’inflation est de retour et comme Christine Lagarde l’a déclaré en 2014, la déflation n’est plus l’ogre qui doit être défait de manière décisive. 

En rétrospective, l’ère des taux d’intérêt nuls était une aberration plutôt que le début d’une tendance à plus long terme (si les taux d’intérêt les plus faibles en 5 000 ans ne suffisaient pas à présenter cette évidence, les taux négatifs, situation dans laquelle les investisseurs payaient les gouvernements pour le privilège de leur prêter de l’argent, auraient dû être l’argument choc). Un chapitre étrange et un bon débarras (voir notre rapport sur les super tendances 2023 pour en savoir plus sur le sujet). 

Mais en tenant compte de cette nouvelle macro-toile de fond, nous constatons que les prévisions de la place pour 2023 sont déjà établies : l’économie mondiale, qui a frappé une série de ralentisseurs monétaires toujours plus hauts, s’écrasera finalement sur le mot tant redouté : récession. Ceux qui osent rêver à une croissance continue ou encore à des « atterrissages » doux et moelleux vivent dans l’univers de l’illusion. 

Il est certain que ces prévisions de récession largement répandues reçoivent un appui. Le resserrement monétaire est généralement la cause principale d’une récession. Et bien que la croissance a remarquablement tenu la barre en 2022, la politique monétaire travaille avec  des « décalages longs et variables ». Cela signifie que des conditions financières plus serrées pourraient surgir dans une croissance ralentie en 2023.

Les observateurs chevronnés du marché reconnaîtront également ici le risque comportemental : les investisseurs peuvent être balayés par les points de vue populaires qu’ils ont eux-mêmes alimentés. Autrement dit, la récession peut devenir une prophétie qui s’accomplit d’elle-même : si suffisamment de consommateurs et de compagnies y croient, ils mettront un frein à leurs dépenses et créeront leur propre ralentissement.

Récession… Ou rebond?

Où allons-nous maintenant? Nous présentons ici une perspective audacieuse en ce qui concerne la récession : elle ne se produira pas et, même dans le cas contraire, elle sera bénigne et les marchés verront au-delà de ces petits ralentissements. 

Mais examinons tout ceci de plus près. Tout d’abord, les marchés financiers ont la mauvaise habitude de cadrer les prévisions de manière binaire. Le scénario 1 ou le scénario 2 arrivera. Mais ces cadres de travail sont inutiles, car ils empêchent l’esprit d’envisager d’autres scénarios. Pourtant, les meilleurs investisseurs restent toujours ouverts à d’autres scénarios, en réactualisant leurs points de vue quand les preuves le suggèrent.  

Selon le macrocontexte d’aujourd’hui, l’économie connaîtra un « atterrissage » doux ou brutal. Mais les deux scénarios supposent que l’inflation reviendra de manière sereine à 2 %. Mission accomplie. La situation risque plutôt d’être plus désordonnée. Un troisième scénario hautement probable à envisager est un faible ralentissement dans ces certaines régions du monde, mais avec un taux d’inflation restant plus élevé que le taux ciblé et une croissance mondiale globale demeurant relativement résiliente. 

Sur le front de l’inflation, un long cheminement de retour à des cibles de 2 % serait conforme aux épisodes inflationnistes passés. Les membres de Research Affiliates ont montré que lorsque l’inflation grimpe au-delà de 8 %, le retour à un taux de 3 % prend habituellement de 6 à 20 ans (avec une moyenne de plus de 10 ans). 

Sur le front de la croissance, nous maintenons que le marché est beaucoup trop à la baisse en ce qui concerne la croissance mondiale. Pourquoi une telle morosité? Principalement parce que la croissance est depuis longtemps décevante. Les années 2010 ont été ratées. Nombreux sont ceux qui ont été convaincus qu’une croissance lente était une caractéristique permanente de l’économie mondiale. Il n’est donc pas surprenant de voir de nombreux intervenants s’en tenir fermement à une stagnation séculaire et à des exposés sur la nouvelle normalité. 

Pourtant, une importante contraction économique similaire à celle de 2000 ou 2008 est improbable. La décennie qui a suivi 2008 a été une période prolongée de désendettement, de nettoyage des excès du secteur privé et d’une réparation générale du système financier. Nous n’avons simplement pas aujourd’hui les mêmes déséquilibres économiques et financiers dans les grandes régions économiques du monde (p. ex. Amérique, Europe et Asie) que nous avons connus avant ces périodes. 

La question de suivi évidente est alors celle-ci : d’où viendra la croissance? Au risque d’avoir l’air de radoter, nous répéterons une fois de plus la même chose : la pandémie a été un moment de restauration économique (dans lequel le monde a cessé toute activité pour la reprendre ensuite) et de percée en matière de politique (où les stimuli fiscaux sont enfin arrivés). 

Le résultat net a été une augmentation de la demande mondiale. Et la hausse de la demande a finalement convaincu les dirigeants qu’il valait la peine de déployer du capital – le signe que les entreprises individuelles avaient de nouveau confiance en leurs propres perspectives (même si elles continuaient de faire preuve de pessimisme concernant l’économie mondiale et les taux plus élevés). En effet, les pénuries de la pandémie ont tranquillement lancé une reprise robuste des placements de capitaux. C’était l’ingrédient principal absent de la reprise post-2008 et qui est essentiel à un cycle vertueux de capacité d’optimisation, de productivité et, au bout du compte, de croissance en hausse. Tout cela devrait éventuellement mener à des gains plus robustes et surtout à des taux d’intérêt plus élevés de manière durable.

De plus, une reprise de la demande prend pied uniquement parce que le monde a sous-dépensé dans l’économie réelle pendant des années, que ce soit dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures ou de la défense. Cela diffère grandement des dépenses numérisées « légères en capital » de la dernière décennie qui n’ont pas apporté de contribution significative à la croissance générale. 

De nos jours, une population vieillissante a besoin de plus de services de soins de santé. L’Occident a besoin de dépenser davantage en défense pour contrecarrer les menaces provenant de la Russie et d’autres acteurs. Le changement climatique et la nécessité d’assurer la sécurité énergétique stimuleront l’investissement de l’État dans des sources renouvelables. De plus, les tensions géopolitiques exacerbées entraînent les décideurs politiques à dépenser davantage sur la politique industrielle. 

L’observation finale et négligée sur la croissance est que plusieurs dynamiques pourraient prendre un virage positif dans les prochains mois. Oubliez un hiver moins froid en Europe (et les prix du gaz plus bas en conséquence) ou même la fin probable des cycles des taux d’intérêt élevés dans le monde, la deuxième plus grande économie mondiale, c’est-à-dire la Chine, est maintenant en période de réouverture complète. The Economist calcule que le pays a été confiné pendant 1 016 jours (ouverture complète cette semaine). Les ménages sont maintenant assis sur une somme record d’argent liquide. Pendant ce temps, Beijing s’est nettement engagée à soutenir un robuste cycle de croissance, relâchant de manière régulière sa politique fiscale et monétaire, de même que certaines conditions de crédit dans le très important secteur de l’immobilier. 

Comment dire « demande refoulée » par une hyperbole? On devrait s’attendre à la poussée d’activité économique que l’Occident a connue à la réouverture au début de 2021. S’ajoutant à tout ceci, la croissance mondiale sera optimisée par une Chine en plein essor, et ce, même si l’Europe et l’Amérique connaissent un ralentissement. Cette croissance s’accélérera dans la seconde moitié de 2023. 

Le point final concerne le sentiment des investisseurs. La morosité règne, comme nous l’avons souligné dans notre article d’octobre 2022 intitulé « Moments charnières : les marchés sont-ils en train de former un creux? » (Moments décisifs : les marchés forment-ils un fond?). À la fin de 2022, Bloomberg News a rassemblé plus de 500 prévisions de stratèges de Wall Street. Il était pratiquement impossible de trouver une prévision de marché à la hausse et les prévisions moyennes signalaient un déclin du S&P 500 en 2023 (la première fois qu’une prédiction regroupée était négative depuis 1999). Les analystes sont encore plus pessimistes, abaissant récemment les estimations de bénéfice par action au rythme le plus rapide depuis 2010.  Bloomberg conclut : « il s’agit de la récession la plus anticipée de tous les temps ».

Cela signifie que dans l’éventualité où une récession se produirait, en serait-on surpris? Non. La récession serait une « nouvelle connue » et déjà écartée. Au contraire, si la récession ne se produit pas, ou même dans le cas où le ralentissement serait faible, une forte surprise positive se produira. Aussitôt que les marchés auront vent d’une reprise prochaine, ils rétabliront rapidement leurs prix en fonction d’une perspective de croissance plus élevée.

Implications en matière d’investissement

Au cours des années 2010, les marchés étaient affairés à établir des prix dans un contexte de faible croissance et de faible inflation. Cela signifiait que les actions de sociétés de technologie, de sociétés en croissance et de toutes choses américaines avaient dépassé le rendement ciblé de manière régulière.  Le contraire se produira au cours des années 2020. Les taux d’inflation et d’intérêt plus élevés ont changé les calculs. Lorsque des investisseurs peuvent obtenir un taux d’intérêt nominal de près de 6 % d’une obligation de société « modeste » (ou lorsque les investisseurs peuvent acheter une variété d’actions internationales à des multiples simples avec des rendements à deux chiffres!), les actions de technologie spéculatives commencent à perdre leur avantage. 

Et lorsque la bulle financière éclate enfin, les marchés ont tendance à rester déprimés pendant très longtemps. L’indice de croissance américain a décliné de plus de 60 % entre mars 2000 et octobre 2002, le NASDAQ prenant plus de 14 ans à récupérer son taux précédemment le plus élevé. Cela signifie que les gagnants des années 2010 peuvent tous s’attendre à plus de périodes douloureuses. 

Ailleurs, de nouveaux marchés à la hausse voient le jour. Le dollar américain a brisé sa tendance à la hausse à long terme et les devises internationales dépassent maintenant le rendement prévu. Les marchés à l’extérieur des États-Unis montrent de nouvelles tendances à la hausse. Et les actions dépréciées, évaluées fortement à la baisse après une décennie de prix faibles dépassent furtivement les indices de rendement.

Plutôt que de tenter de cibler le moment exact d’une récession quelconque, une meilleure stratégie pour les investisseurs consistera à commencer à aligner les portefeuilles sur les nouveaux macroprincipes. Ils sont ici pour de bon, récession ou pas.

TYler MORDY

Chief Executive Officer & Chief Investment Officer

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